Kushti, les lutteurs d’argile

À Kolhapur, dans un ancien Etat princier mahratte, survit une tradition unique vieille de deux mille ans, le kushti, une antique forme de lutte qui est davantage un combat moral et spirituel qu'une simple joute physique. Au sein d’une arène de terre s'affrontent, dans un ballet strictement codifié, les jeunes champions aux corps enduits de terre rouge. Dans ces talim (gymnase) populaires et démocratiques où les règles strictes de caste ne sont plus observées les jeunes sont soumis à un entrainement physique quotidien rigoureux et y vivent comme des ascètes car l'alcool, le tabac et le sexe y sont bannis. Ils s'y préparent aux grands tournois annuels qui drainent encore des dizaines de milliers de personnes bien que ce style de lutte soit aujourd'hui sur le déclin. Kolhapur doit son renom dans le domaine de la lutte à un ancien maharadjah du début du XX è siècle, Chhatrapati Shahu Maharaj qui était épris de sports virils et avait une passion pour le kushti. Il attira des lutteurs renommés venus de toute l’Inde dans la capitale de son Etat. Kolhapur compte aujourd’hui encore 15 talim disséminés dans toute la ville. Les lutteurs se lèvent avant l’aube et pratiquent la lutte ou des exercices de musculation de 4h du matin à 8h30 puis à nouveau de 15h30 à 18h. Entretemps, les plus jeunes doivent nettoyer le gymnase, masser les pieds et les membres de lutteurs plus âgés, préparer les repas. L’entrainement est une pratique proche à bien des égards de celle du yoga tant dans sa forme que dans son esprit. Il n’y a pas du tout le côté agressif et violent, réel ou feint, qui caractérise la lutte ou le catch en Occident. Ces empoignades musclées ressemblent à un ballet au ralenti ou en accéléré. Les athlètes au corps d’Apollon dénudés, vêtus d’un simple langot (pagne étroitement ajusté) qui s’accolent à la recherche d’une prise, se chevauchent, se renversent, se terrassent, sans la moindre hargne ou cri. Aujourd’hui le kushti est en déclin par manque de mécènes et les formes plus modernes de lutte se répandent partout dans le pays. Ce serait une grande perte pour l’Inde car les talim perpétuent depuis des siècles un modèle social et idéologique unique constituant un véritable creuset qui rassemblent des hommes de toutes les castes sans se préoccuper des hiérarchies conventionnelles. Des musulmans et des intouchables s’entraînent au sein de ces gymnases en compagnie de brahmanes. Un brahmane peut masser les pieds d’un intouchable et personne ne trouvera à redire si un lutteur de basse caste terrasse un homme de haute caste. Seul la force et le mérite comptent.

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